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MYSTICISME ET SCIENCE.

Le plus clair c’est que la confiance dans la science, que nous avions si forte, est plus qu’à demi perdue. Nous étions persuadés qu’avec de bonnes méthodes expérimentales et des observations bien faites nous arriverions assez vite à créer le rationalisme universel. Et nous n’étions pas éloignés de croire que du xviiie siècle datait une ère nouvelle. Je le crois encore. Mais il faut bien reconnaître que les choses ne vont pas aussi vite que nous pensions et que l’affaire n’est pas aussi simple qu’elle nous paraissait. M. Ernest Renan, notre maître, qui plus que tout autre a cru, a espéré en la science, avoue lui-même, sans renier sa foi, qu’il y avait quelque illusion à penser qu’une société pût aujourd’hui se fonder tout entière sur le rationalisme et sur l’expérience.

La jeunesse actuelle cherche autre chose. Et, puisqu’on repousse cette science que nous apportions comme la révélation suprême, il faut bien que nous sachions pourquoi on la repousse.

On lui reproche d’abord son insuffisance. La science, nous dit-on, n’est pas fondée ; vous avez constitué des sciences, ce qui est bien différent. Et qu’est-ce que vous appelez sciences, s’il vous plaît ? Des lunettes, ni plus ni moins. Des lunettes ! Elles vous donnent une vue plus pénétrante et vous permettent d’examiner certains phénomènes plus exactement. D’accord ! Mais cela importe-t-il beaucoup ? Quand vous avez observé quelques mirages de plus dans cet abîme d’apparences qui est l'univers sensible, en connaissez-vous mieux la raison