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LA VIE LITTÉRAIRE.

se cacher, Mais pas très loin, à Fontainebleau seulement où il trouve une petite servante d’auberge qui lui prouve tout de suite que les femmes n’ont pas toutes, en amour, l’élégante indifférence de madame de Burne. Voilà le roman. Il est cruel et ce n’est point de ma faute. Quelques-uns de mes lecteurs, et non pas ceux dont la sympathie m’est la moins chère, se plaignent parfois, je le sais, avec une douceur qui me touche, que je ne les édifie point assez et que je ne dis plus rien pour la consolation des affligés, l’édification des fidèles et le salut des pécheurs.

Qu’ils ne s’en prennent pas trop à moi de tout ce que je suis obligé de leur montrer d’amer et de pénible. Il y a dans la pensée contemporaine une étrange âcreté. Notre littérature ne croit plus à la bonté des choses. Écoutons un rêveur comme Loti, un intellectuel comme Bourget, un sensualiste comme Maupassant, et, nous entendrons, sur des tons différents, les mêmes paroles de désenchantement. On ne nous montre plus de Mandane ni de Clélie triomphant par la vertu des faiblesses de l’âme et des sens. L’art du xviie siècle croyait à la vertu, du moins avant Racine qui fut le plus audacieux, le plus terrible et le plus vrai des naturalistes, et peut-être, à certains égards le moins moral. L’art du xviiie siècle croyait à la raison. L’art du xixe siècle croyait d’abord à la passion, avec Chateaubriand, George Sand et les romantiques. Maintenant, avec les naturalistes, il ne croit plus qu’à l’instinct.

C’est sur les fatalités de nature, sur le déterminisme universel que nos romanciers les plus puissants fondent leur morale et déroulent leurs drames. Je ne vois guère