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MADAME ACKERMANN.


La mort est le seul fruit qu’en tes crises futures
Il te sera donné d’atteindre et de cueillir ;
Toujours nouveau débris, toujours des créatures
Que tu devras ensevelir !

Car sur ta route en vain l’âge à l’âge succède
Les tombes, les berceaux ont beau s’accumuler
L’idéal qui te fuit, l’idéal qui t’obsède

À l’infini pour reculer.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et l’on s’étonne que d’une existence tout unie et tranquille soit sortie cette œuvre de désespoir. Dans sa cellule aussi froide, aussi chaste, aussi paisible qu’au temps des fils de Dominique, la recluse de Nice a gémi comme une sainte de l’athéisme, sur les misères qu’elle n’éprouvait pas, sur les souffrances de l’humanité tout entière. Elle a fait doucement le songe de la vie ; mais elle savait que ce n’était qu’un songe. Peut-être vaut-il mieux croire à la réalité de l’être et à la bonté divine, puisque, si c’est là une illusion, c’est une illusion que la mort indulgente ne dissipera point. Quoi qu’il soit de nous, ceux qui croient à l’immortalité de la personne humaine n’ont pas à craindre d’être détrompés après leur mort. Si, comme il est infiniment probable, ils ont espéré en vain, s’ils ont été dupes, ils ne le sauront jamais.