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MADAME ACKERMANN.

cette obstinée contemptrice de l’amour, un jour, à l’ombre de ses orangers, a écrit cette pensée dans le petit cahier où elle mettait les secrets de son âme : « Amour, on a beau t’accuser et te maudire, c’est toujours à toi qu’il faut aller demander la force et la flamme ! »

Comme tous les solitaires, elle était pleine d’elle-même. Elle ne savait qu’elle et se récitait sans cesse. Elle allait portant dans sa poche une petite autobiographie manuscrite qu’elle lisait à tout venant et qu’elle finit par faire imprimer. Ses plus beaux vers insérés dans la Revue moderne, avaient passé inaperçus. C’est un article de M. Caro qui les fit connaître tout d’un coup. Elle eut depuis lors un groupe d’admirateurs fervents.

J’en faisais partie, mais sans m’y distinguer. Sa poésie me donnait plus d’étonnement que de charme, et je ne sus pas la louer au delà de mon sentiment. Elle était sensible à cet égard et, comme elle avait le cœur droit et l’esprit direct, elle me dit un jour :

— Que trouvez-vous donc qui manque à mes vers, pour que vous ne les aimiez pas ?

Je lui avouai que, tout beaux qu’ils étaient, ils m’effrayaient un peu, dans leur grandeur aride. Je m’en excusai sur ma frivolité naturelle.

— Comme les enfants, lui dis-je, j’aime les images, et vous les dédaignez. C’est sans doute avec raison que vous n’en avez pas.

Elle demeura un moment stupéfaite. Puis, dans l’excès de l’étonnement, elle s’écria :

— Pas d’images ! que dites-vous là ? Je n’ai pas