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LA VIE LITTÉRAIRE.

eût, d’un seul coup, tout détruit dans le sanctuaire ; mais elle n’y entra jamais.

Cette bonne et douce madame Perler, qui a écrit avec de si belles et discrètes façons la vie de son frère Blaise, y rapporte une pratique du grand homme qui m’a toujours donné beaucoup à penser. Pascal, retiré du monde, recevait dans sa chambre sans tapisseries et sans feu toutes les personnes qui venaient l’entretenir sur la religion. Les unes lui confiaient leurs projets de retraite. Les autres lui soumettaient leurs doutes sur les matières de la foi. À celles-là, par charité chrétienne, il ne refusait pas ses avis. Et parfois, comme on ne se rendait pas à ses premières raisons, il fallait en venir à une dispute en règle. Pascal n’aimait guère ces colloques dans lesquels on lui opposait la raison à la foi. Pour soutenir de telles discussions, il prenait soin de mettre sous ses vêtements une ceinture de fer garnie de clous dont les pointes étaient tournées en dedans. À chaque raison de son contradicteur, il enfonçait les pointes dans sa chair. Par ce moyen, il évitait tout péril et servait le prochain sans crainte de nuire à soi-même.

Il ne douta jamais. Mais il avait de la prudence, et sa grande appréhension était que la raison n’entrât par surprise dans les choses de la foi.