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LA VIE LITTÉRAIRE.

Il est vrai que tout le livre portait sur un fondement faux. On attribuait adroitement à toute la société des opinions extravagantes de plusieurs jésuites espagnols et flamands. On les aurait déterrées aussi bien chez les casuistes dominicains et franciscains ; mais c’est aux seuls jésuites qu’on en voulait. On tâchait, dans ces lettres, de prouver qu’ils avaient un dessein formé de corrompre les mœurs des hommes, dessein qu’aucune secte, aucune société n’a jamais eu et ne peut avoir ; mais il ne s’agissait pas d’avoir raison, il s’agissait de divertir le public. »

Et cela n’est ni de Nonnotte, ni de Patouillet. C’est de Voltaire, dans le Siècle de Louis XIV.

Il y a dans un roman de Tourguénef un personnage à qui l’on dit : « Il faut être juste, » et qui répond : « Je n’en vois pas la nécessité. » Cet homme montrait une espèce de franchise. Mais, sans nous l’avouer à nous-mêmes, nous avons grand’peine à rendre justice à nos ennemis. Les fanatiques y ont plus de difficulté que les autres. Et Pascal était un fanatique. Il accabla de moqueries et de soupçons injurieux le jésuite Lalouère, qui méritait un meilleur traitement, pour s’être appliqué à résoudre des problèmes ardus sur le cycloïde. Mais il en eût trop coûté à Pascal de convenir qu’un jésuite peut être bon géomètre. C’est une extrémité qu’il évita par l’injure et la calomnie.

Il ne fut jamais au monde un plus puissant génie que celui de Pascal. Il n’en fut jamais de plus misérable, Géomètre il est l’égal des plus grands, bien qu’il ait détourné son esprit le plus possible de la géométrie. Il