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APOLOGIE POUR LE PLAGIAT.

branche séchée de romarin, qui a été mise là par un amoureux mort depuis longtemps. Je déplie avec précaution une mince bande de papier enroulée à la tige et je lis ces mots tracés d’une encre pâlie : J’aime bien Marie, le 26mede juin de l’an 1695. Et cela me retient dans l’idée qu’il y a dans les sentiments des hommes un vieux fonds sur lequel les poètes mettent des broderies délicates et légères, et qu’il ne faut pas crier au voleur dès qu’on entend dire j’aime bien Marie, après qu’on l’a dit soi-même. Nous disions que le plagiat n’était pas considéré jadis tout à fait comme il l’est aujourd’hui. Et je crois que les vieilles idées, à cet égard, valaient mieux que les nouvelles, étant plus désintéressées, plus hautes et plus conformes aux intérêts de la république des lettres.

En droit romain (je trouve cela encore dans mon in-folio relié en veau granit avec ces tranches d’un rouge adouci qui m’enchante), en droit romain, au sens propre du mot, le plagiaire, c’était l’homme oblique qui détournait les enfants d’autrui, qui débauchait et volait les esclaves. Au figuré, c’était un larron de pensées. Nos pères tenaient, en ce second sens, le plagiat pour abominable. Aussi y regardaient-ils à deux fois avant de l’imputer à un homme de bien. Pierre Bayle donne dans son Dictionnaire une définition qui n’est pas sans fantaisie mais qui ne s’en fait que mieux comprendre : « Plagier, dit-il, c’est enlever les meubles de la maison et les balayures, prendre le grain, la paille, la balle et la poussière en même temps. » Vous entendez bien, pour