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PRÉFACE.

l’essence du beau que de brûler dans les ténèbres leurs derniers morceaux de houille, avant de s’abîmer dans les glaces éternelles.

Pour fonder la critique, on parle de tradition et de consentement universel. Il n’y en a pas. L’opinion presque générale, il est vrai, favorise certaines œuvres. Mais c’est en vertu d’un préjugé, et nullement par choix et par l’effet d’une préférence spontanée. Les œuvres que tout le monde admire sont celles que personne n’examine. On les reçoit comme un fardeau précieux, qu’on passe à d’autres sans y regarder. Croyez-vous vraiment qu’il y ait beaucoup de liberté dans l’approbation que nous donnons aux classiques grecs, latins, et même aux classiques français ? Le goût aussi qui nous porte vers tel ouvrage contemporain et nous éloigne de tel autre est-il bien libre ? N’est-il pas déterminé par beaucoup de circonstances étrangères au contenu de cet ouvrage, dont la principale est l’esprit d’imitation, si puissant chez l’homme et chez l’animal ? Cet esprit d’imitation nous est nécessaire pour vivre sans trop d’égarement ; nous le portons dans toutes nos actions et il domine notre sens esthétique. Sans lui les