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JUDITH GAUTIER.

formes sont rares et belles, tous les sentiments fiers ou tendres, où la cruauté des hommes jaunes s’efface à demi dans la gloire de cet âge héroïque où le Nippon eut sa chevalerie et la fleur de ses guerriers. Il y a des mois que je n’ai lu la Sœur du Soleil, ou pour mieux dire l’Usurpateur, car je vois encore ce titre sur la couverture verte de l’édition originale qui était ornée d’un dessin de l’auteur. Il y a même des années, et pourtant je puis citer de mémoire, sans crainte de me tromper, une phrase entière de ce livre, une de ces phrases comme on en trouve dans Chateaubriand et dans Flaubert, qui feraient croire que la prose française, maniée par un grand artiste, est plus belle que les plus beaux vers. Voici cette phrase, détachée de tout ce qui l’entoure :

Le ciel ressemble à une grande feuille de rose. C’est le dernier pétale du jour qui s’effeuille, du jour qui tombe dans le passé, mais dont notre esprit gardera le souvenir, comme d’un jour de joie et de paix, le dernier peut-être.

Je n’ai pas le livre sous la main. J’en suis fâché, moins encore parce que je ne puis collationner ces lignes d’un sentiment à la fois si gracieux et si mélancolique, que parce qu’il me semble que c’est être privé d’une des délicatesses de la vie que de n’avoir pas sous la main un livre comme la Sœur du Soleil.

Il faut citer, avec ces deux ouvrages, Iskender, qui est l’histoire légendaire d’Alexandre d’après les traditions de la Perse. Ces trois livres sont les trois plus beaux