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PRÉFACE.

y a des contes de fées. S’il y a aussi des contes de lettres, c’en sont là plutôt.

Tout y est senti. J’y ai été sincère jusqu’à la candeur. Dire ce qu’on pense est un plaisir coûteux mais trop vif pour que j’y renonce jamais. Quant à faire des théories, c’est une vanité qui ne me tente point.

Ce qui rend défiant en matière d’esthétique, c’est que tout se démontre par le raisonnement. Zénon d’Elée a démontré que la flèche qui vole est immobile. On pourrait aussi démontrer le contraire, bien qu’à vrai dire, ce soit plus malaisé. Car le raisonnement s’étonne devant l’évidence, et l’on peut dire que tout se démontre, hors ce que nous sentons véritable. Une argumentation suivie sur un sujet complexe ne prouvera jamais que l’habileté de l’esprit qui l’a conduite. M. Maurice Barrès a été bien avisé de dire dans un opuscule exquis[1] : « Ce qui distingue un raisonnement d’un jeu de mots, c’est que celui-ci ne saurait être traduit. » Il faut bien que les hommes aient quelque soupçon de cette grande vérité, puisqu’ils ne se gou-

  1. Toute licence sauf contre l’amour, 1892, in-18.