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LES CHANSONS DU CHAT-NOIR

Il y a deux ans, une hôtesse toute gracieuse fit venir le Chat-Noir chez elle, pour l’amusement d’un très grand philosophe, d’un vieux maître vénérable et bien-aimé, d’un sage que rien ne détourne de la contemplation des vérités éternelles et qui endure en souriant les douleurs de la goutte. Le maître, paisiblement assis dans son fauteuil, reposait sur sa poitrine sa tête puissante et pensive, quand à dix heures sonnantes, le Chat-Moir, représenté par deux jeunes messieurs corrects, l’un grand, l’autre petit, entra dans le salon avec une politesse silencieuse. Le premier était Mac-Nab, qui est mort depuis, laissant un frère plongé dans l’étude des arts magiques. Le second était Jules Jouy, l’abondant et véhément chansonnier. Mac-Nab avait, de son vivant l’apparence d’une longue et lugubre personne. Il disait d’un ton morne, avec un visage désolé, des choses sinistres. Quand il ouvrait la bouche, sa mâchoire semblait se détacher comme d’une tête de mort, sans effort et