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préface.

hommes ne peuvent attendre plus de justice de leurs pairs, il nous montre Rabelais insulté par Ronsard, et Corneille préférant publiquement Boursault à Racine. Il devait nous montrer encore Lamartine méprisant La Fontaine. Il pouvait aussi nous montrer Victor Hugo jugeant fort mal tous nos classiques, hors Boileau, pour qui, sur le déclin de l’âge, il nourrissait quelque tendresse.

Bref, M. Brunetière reconnaît qu’il est beaucoup d’avis contraires les uns aux autres dans la république des lettres. En vain, il se ravise ensuite et nous déclare avec assurance qu’« il n’est pas vrai que les opinions y soient si diverses ni les divisions si profondes ». En vain, il s’autorise d’une opinion de M. Jules Lemaître pour affirmer qu’il est admis par tous les lettrés que certains écrivains existent, malgré leurs défauts, tandis que d’autres n’existent pas. Que, par exemple, Voltaire tragique existe, et que Campistron n’existe pas, ni l’abbé Leblanc, ni M. de Jouy. C’est un premier point qu’il veut qu’on lui accorde, mais on ne le lui accordera pas, car, s’il s’agissait de dresser les deux listes, on ne s’entendrait guère.