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LA VIE LITTÉRAIRE.

À la faible lueur de la lampe je vis qu’il mettait la main dans son sein, comme pour y chercher une arme cachée. N’osant lui parler, je me retirai dans l’antichambre où il me suivit des yeux. J’entendis qu’il agitait violemment une sonnette placée sur la table.

« Ayant appris de l’huissier accouru à cet appel qui j’étais et pourquoi je venais, il me fil faire des excuses et me reçut sans tarder. Pendant tout l’entretien, il garda dans ses manières et dans ses paroles un air de grande politesse et de cérémonie, comme s’il eût voulu ne pas se montrer en arrière de courtoisie avec un ancien gentilhomme de la chambre. Il était vêtu en petit maître ; son gilet de mousseline était bordé de soie rose. »

Lady Morgan boit les paroles du vieillard ; elle retient tout, pour tout écrire fidèlement, sauf les dates qu’elle embrouille ensuite, selon la coutume de tous ceux qui écrivent des Mémoires.

Avant de prendre congé, elle veut témoigner à M. Denon toute son admiration. Elle lui demande par quel secret il a acquis tant de connaissances.

— Vous devez, lui dit-elle, avoir beaucoup étudié dans votre jeunesse ?

Et M. Denon lui répond :

— Tout au contraire, milady, je n’ai rien étudié, parce que cela m’eût ennuyé. Mais j’ai beaucoup observé, parce que cela m’amusait. Ce qui fait que ma vie a été remplie et que j’ai beaucoup joui[1].

  1. La France, par lady Morgan ; traduit de l’anglais, par A. l. B. D. Paris, ian, t. II, pp. 307 et suiv.