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LE BARON DENON.

toile, le dernier marbre fui emballé, il remit sa démission au roi[1].

À partir de novembre 1815, il se repose et son unique affaire est de vieillir doucement. Toujours aimable, toujours aimé, causeur plein de jeunesse, il reçoit toutes les célébrités de la France et du monde dans son illustre retraite du quai Voltaire.

L’âge a blanchi la soie légère de ses cheveux et creusé son sourire dans ses joues. Il est le septuagénaire charmant que Prud’hon a peint dans le beau portrait conservé au Louvre. Le baron sait bien que sa vie est une espèce de chef-d’œuvre. Il n’oublie ni ne regrette rien ; son burin, parfois un peu libre, rappelle dans des planches secrètes les plaisirs de sa jeunesse. Ses causeries aimables font revivre tour à tour la cour de Louis XV et le Comité de salut public.

Aujourd’hui c’est lady Morgan, la belle patriote irlandaise, qui lui rend visite, traînant avec elle sir Charles, son mari, grave et silencieux.

M. Denon montre à la jeune enthousiaste les trésors de son cabinet. Elle admire pêle-mêle les vases étrusques, les bronzes italiens et les tableaux flamands ; les propos du vieillard qui vit tant de choses l’enchantent Tout à coup elle découvre dans une vitrine un petit pied de momie, un pied de femme.

— Qu’est-ce cela ?

  1. Le Louvre en 1815, par Henry de Chenevières, Revue Bleue, 1889, nos 3 et 4.