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LE BARON DENON.

À peine est-il à Paris qu’il a mis David dans ses intérêts et gagné les membres du Comité de salut public. On lui rend ses biens ; on lui commande des dessins de costumes. Il est aimé, protégé, favorisé, comme aux jours de la marquise.

Et le voilà traversant la Terreur, sans bruit, observant tout, ne disant rien, tranquille, curieux. Il passe de longues heures au tribunal révolutionnaire, crayonnant dans le fond de son chapeau, d’un trait mordant, les accusés, les condamnés. Aujourd’hui Danton, calme dans sa vulgarité robuste. Demain Fouquier larmoyant et Carrier étonné. Quelques-uns de ses dessins, gracieusement prêtés par M. Auguste Dide, figuraient à l’exposition de la Révolution organisée par M. Étienne Charavay dans le pavillon de Flore. Quand on les a vus une fois, on ne peut les oublier, tant ils ont de vérité et d’expression, tant ils sont frappants. Denon regardait, attendait. Le 9 thermidor lui fit perdre des protecteurs qu’il ne regretta point. La bohémienne lui avait prédit l’amitié des femmes et les faveurs de la cour. Et il avait été aimé, il avait été favorisé. La bohémienne lui avait annoncé enfin une étoile éclatante. Cette dernière promesse devait s’accomplir aussi. L’étoile se levait sur l’heureux déclin de cette vie fortunée. En 1797, il rencontre, dans un bal, chez M. de Talleyrand, un jeune général qui demande un verre de limonade. Denon lui tend le verre qu’il tient à la main. Le général remercie ; la conversation s’engage, Denon parle avec sa grâce ordinaire et gagne en un quart d’heure l’amitié de Bonaparte.