Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.

demeurent machinales et brutes, et les lettres, privées des sciences, sont creuses, car la science est la substance des lettres. Ces considérations, je dois le dire, n’entraient pas dans ma mince cervelle.

Ce qui peut surprendre, c’est que mes parents ne touchassent jamais ce point en causant avec moi. S’il faut trouver des raisons à leur silence, j’en distingue quelques-unes, telles que la timidité de mon père, qui n’osait jamais mettre ses idées en avant, et l’agitation de ma mère, qui ne laissait pas les siennes se former. Mais leur principal motif de s’abstenir était que ma mère ne doutait pas que, quelque voie que je prisse, je ne fisse éclater mon génie, parfois obscurci, mais toujours ardent, tandis que mon père estimait qu’en lettres comme en sciences, je ne ferais jamais rien de bon. Mon père avait, pour sa part, un motif encore de se taire, devant moi, sur cette mesure qui, sortie, après le coup d’État, d’un décret de M. Hippolyte Fortoul, grand maître de l’Université en 1852, touchait aux questions les plus brûlantes de la politique. Zélé catholique, mon père approuvait une réforme qui semblait favoriser l’Église aux