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de chair, et non pas un ange. Comment pourriez-vous toujours demeurer en un même état de vertu, puisque cette fidélité a manqué aux anges dans le Ciel et au premier homme dans le Paradis ? » Voilà, Tournebroche, mon fils, les seuls entretiens spirituels et les vrais soliloques qui conviennent à l’état présent de mon âme. Mais ne serait-il point temps, après cette malheureuse démarche, sur laquelle je n’insiste pas, de retourner à notre auberge, pour y boire, en compagnie des postillons, qui sont gens simples et de commerce facile, une ou deux bouteilles de vin du cru ?

Je me rangeai à cet avis et nous regagnâmes l’hôtellerie de la poste où nous trouvâmes M. d’Anquetil qui, revenant comme nous de la ville, en rapportait des cartes. Il joua au piquet avec mon bon maître et, quand nous nous remîmes en route, ils continuèrent de jouer dans la voiture. Cette fureur de jeu qui emportait mon rival, me rendit quelque liberté auprès de Jahel, qui m’entretenait plus volontiers depuis qu’elle était délaissée. Je trouvais à ces entretiens une amère douceur. Lui reprochant sa perfidie et son infidélité, je soulageais mon chagrin par des plaintes, tantôt faibles, tantôt violentes.