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— De la prudence, monsieur Guinardon ; de la prudence. Ne grattez pas trop.

Le peintre le rassura :

— Ne craignez rien, monsieur d’Esparvieu. Je ne peins pas dans cette manière-là. Mon art est plus haut. Je fais du Cimabué, du Giotto, du Beato Angelico ; je ne fais pas du Delacroix. Cette page-là est trop chargée d’oppositions et de contrastes pour donner une impression vraiment sacrée. Il est vrai que Chenavard a dit que le christianisme aime le pittoresque, mais Chenavard était un gredin sans foi ni loi, un mécréant… Voyez, monsieur d’Esparvieu : je mastique la crevasse, je recolle les écailles qui se sont soulevées. Et c’est tout… Les dégradations, dues à un tassement de la muraille, ou plus probablement à une secousse sismique, sont circonscrites dans un très petit espace. Cette peinture à l’huile et à la cire, appliquée sur un enduit bien sec, est plus solide qu’on ne pouvait prévoir. J’ai vu Delacroix travailler à cet ouvrage. Fougueux, mais inquiet, il modelait fiévreusement, effaçait, surchargeait sans cesse ; sa main puissante avait des gaucheries d’enfant ; c’est fait avec la maîtrise du génie et