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livide, son front ridé, ses lèvres minces exprimaient une tristesse mortelle. Il leva sur le visiteur le regard encore vif de ses prunelles jaunes. Puis, de sa petite main sèche, il saisit une carotte, la porta à sa bouche et la rejeta aussitôt. Après avoir regardé un moment ceux qui étaient venus, l’exilé détourna la tête, comme s’il n’attendait plus rien des hommes et de la vie. Replié sur lui-même, un genou dans la main, il ne bougeait plus ; mais par moment une toux sèche secouait sa poitrine.

— C’est Edgar, dit la fillette. Il est à vendre, vous savez ?…

Mais le vieil amant des livres, qui s’était armé de colère et de ressentiment, croyant rencontrer l’ironique ennemi, le monstre de malice, l’antibibliophile, maintenant demeurait surpris, attristé, accablé devant ce petit être sans force, sans joie et sans désirs. Reconnaissant son erreur, troublé par ce visage presque humain, qu’humanisait encore la tristesse et la souffrance :

— Pardon, fit-il en inclinant la tête.