Page:Anatole France - La Révolte des anges.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.

quotidien usage, sa belle redingote, en prit une vieille, qui pendait dans un placard, au-dessus d’un lavabo, et l’endossa. Puis il passa dans le cabinet de travail où depuis seize années, six jours sur sept il cataloguait sous le regard sublime d’Alexandre d’Esparvieu et, se disposant à faire sa revue des salles, entra dans la première et la plus grande, qui renfermait la Théologie et les Religions en de vastes armoires dont les corniches portaient les bustes en plâtre bronzé des poètes et des orateurs de l’antiquité. Deux énormes sphères garnissaient les embrasures des fenêtres, figurant la terre et le ciel. Mais, au premier pas qu’il fit, M. Sariette s’arrêta, stupide, ne pouvant douter de ce qu’il voyait, et n’y pouvant croire. Sur le tapis bleu de la table de travail des livres s’étalaient avec négligence, les uns sur les plats, les autres le dos en l’air. Des in-quarto formaient une pile chancelante. Deux lexiques grecs, se pénétrant l’un et l’autre, composaient un seul être plus monstrueux que les couples humains du divin Platon. Un in-folio aux tranches dorées bâillait, laissant voir trois de ses feuillets indignement cornés.