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nettes, à la crémerie des Quatre-Évêques, jadis fréquentée par Baudelaire, Théodore de Banville, Charles Asselineau, Louis Ménard et un grand d’Espagne, qui avait traduit les Mystères de Paris dans la langue des conquistadors. Et les canes qui barbotent si gentiment sur la vieille enseigne de pierre qui a donné son nom à la rue, reconnaissaient M. Sariette. Il rentrait à midi trois quarts précisément dans sa bibliothèque dont il ne sortait qu’à sept heures pour aller s’asseoir aux Quatre-Évêques, devant sa table frugale, couronnée de pruneaux. Tous les soirs, après dîner, son camarade Michel Guinardon, universellement nommé le père Guinardon, peintre décorateur, réparateur de tableaux, qui travaillait pour les églises, venait de son grenier de la rue Princesse aux Quatre-Évêques prendre le café et les liqueurs, et les deux amis faisaient leur partie de dominos. Le père Guinardon, d’une âpre verdeur et plein de sève, était plus vieux qu’il ne se pouvait concevoir : il avait connu Chenavard. D’une chasteté farouche, il dénonçait constamment les impuretés du néopaganisme en un langage d’une obscénité formidable. Il aimait à parler.