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de Condorcet. Bonaparte ne dédaignait pas de causer quelquefois avec nous.

» L’ayant reconnu pour un grand homme, nous le crûmes idéologue comme nous. Notre influence était assez forte dans le pays. Nous l’employâmes en sa faveur et le poussâmes à l’Empire, afin de montrer au monde un nouveau Marc-Aurèle. Nous comptions sur lui pour pacifier l’univers : il ne justifia pas nos prévisions et nous eûmes le tort de nous en prendre à lui de notre mécompte.

» Sans contredit, il surpassait de beaucoup les autres hommes par la promptitude de l’intelligence, la profondeur de la dissimulation et la capacité d’agir. Ce qui faisait de lui un dominateur accompli, c’est qu’il vivait tout entier dans le moment présent et ne concevait rien en dehors de l’immédiate et instante réalité. Son génie était vaste et léger. Son intelligence, immense par l’étendue, mais commune et vulgaire, embrassait l’humanité et ne la surmontait pas. Il pensait ce que pensait tout grenadier de son armée ; mais il le pensait avec une force inouïe. Il aimait le jeu des hasards et se plaisait à tenter la fortune en