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habitants de la contrée, peu à peu rassurés, sortent des bois où ils s’étaient blottis et viennent relever leur cabane incendiée, labourer leur champ, tailler leur vigne. On se remit à vivre ; mais ces temps furent les plus misérables que l’humanité eût encore traversés. Les barbares recouvraient l’Empire. Leurs mœurs étaient rudes, et comme ils nourrissaient des sentiments de vengeance et de cupidité, ils croyaient fermement au rachat des fautes. Cette fable d’Iahveh et de son fils leur plut et ils la crurent d’autant plus facilement, qu’elle leur était enseignée par ces Romains qu’ils savaient plus savants qu’eux et dont ils admiraient en secret les arts et les mœurs. Hélas ! la Grèce et Rome n’avaient que des héritiers imbéciles. Tout savoir était perdu. Alors c’était un grand mérite que de chanter au lutrin, et ceux qui retenaient quelques phrases de la Bible passaient pour de prodigieux génies. Il y avait encore des poètes comme il y avait des oiseaux, mais leurs vers boitaient de tous leurs pieds. Les antiques démons, les bons génies de l’homme, dépouillés de leurs honneurs, chassés, poursuivis, traqués, demeuraient cachés dans les