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ses lèvres épaisses, encadrées dans une barbe noire qui descendait en boucles sur sa poitrine, rappelaient ces kéroubs du tabernacle d’Iahveh, que nous représentent assez fidèlement les taureaux de Ninive. Il portait sur la terre comme au ciel le nom d’Istar, et bien qu’exempt de vanité, affranchi de tous les préjugés sociaux, en un immense besoin de se montrer en toutes choses sincère et vrai, il déclarait l’illustre rang où sa naissance l’avait placé dans la hiérarchie céleste, et, traduisant en français son titre de kéroub par un titre équivalent, se faisait appeler le prince Istar. Réfugié parmi les hommes, il s’était épris pour eux d’une ardente tendresse. En attendant l’heure de délivrer les cieux, il méditait le salut de l’humanité renouvelée et avait hâte de consommer la ruine de ce monde mauvais, pour élever sur ses cendres, aux sons de la lyre, la cité radieuse de joie et d’amour. Chimiste à la solde d’un marchand d’engrais, il vivait de peu, collaborait à des journaux libertaires, parlait dans les réunions publiques et s’était fait condamner comme antimilitariste à plusieurs mois de prison.