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— Vous savez donc l’hébreu ! s’écria Maurice.

— L’hébreu est ma langue natale : dans le paradis nous n’avons longtemps parlé que celle-là.

— Ah ! vous êtes juif : j’aurais dû m’en apercevoir à votre manque de tact.

L’ange, sans daigner entendre, reprit de sa voix mélodieuse :

— J’ai pénétré les antiquités orientales, la Grèce et Rome, j’ai dévoré les théologiens, les philosophes, les physiciens, les géologues, les naturalistes. J’ai su, j’ai pensé, j’ai perdu la foi.

— Comment ? vous ne croyez pas en Dieu ?

— J’y crois, puisque mon existence dépend de la sienne et que, s’il n’est plus, je tombe moi-même dans le néant. J’y crois comme les silènes et les ménades croyaient à Dionysos et pour les mêmes raisons. Je crois au Dieu des juifs et des chrétiens. Mais je nie qu’il ait créé le monde ; il en a tout au plus organisé une faible partie, et tout ce qu’il a touché porte la marque de son esprit imprévoyant et brutal. Je ne pense pas qu’il soit éternel ni infini, car il