Page:Anatole France - La Gazette rimée.djvu/7

Cette page a été validée par deux contributeurs.
Je ne veux pas des fils que ton sang a formés.
Rends-moi mes légions, ces dernières reliques
De la force romaine et des vertus publiques !
César ! rends-moi leur sang précieux et sacré ;
Rends-moi mes légions !… mais non, non ; je croirai
Le ciel assez clément et toi-même assez juste,
Si seulement tu veux, divin César Auguste,
De tout ce sang glacé que les lunes du nord
Boivent, de tant de chairs que la dent des loups mord,
Me rendre ce qu’il faut de nerfs, de chair et d’âme,
Pour tirer de ton cou tordu ton souffle infâme ! »


Ainsi, sur l’empereur roulant ses yeux ardents,
Hurla la Louve, avec des grincements de dents.
Puis Auguste entendit des murmures funèbres
Tout remplis de son nom monter dans les ténèbres
Formidables, et vit, par le ciel entr’ouvert,
Des soldats défiler, blancs sous leur bronze vert ;
Et Varus, qui menait la troupe pâle et lente,
Leur montrait le César de sa droite sanglante.
César ferma les yeux et sentit, tout tremblant,
Ses lauriers d’or glacer son front humide et blanc.
Tendant ses maigres bras au ciel de Germanie,
Il cria, blême, avec un râle d’agonie :
« Varus ! garde la troupe intrépide qui dort !
Garde mes légions, ô ma complice ! ô Mort ! »
Anatole France