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Mena ces braves gens à travers les forêts,
Le front dans les taillis, les pieds dans les marais.
Alors la forêt mère, inviolée et sainte,
Étreignit les Romains dans son horrible enceinte,
Les fit choir dans des trous, leur déroba les cieux ;
Chaque arbre avait des doigts et leur crevait les yeux.
Les soldats abattaient ces arbres pleins de haines ;
Et les chevaux, oyant gémir l’âme des chênes,
Se jetaient effarés dans la nuit des halliers,
Et, contre les troncs durs, brisaient leurs cavaliers.
Des flèches cependant venaient, inattendues,
Aux arbres ébranlés, clouer les chairs tordues ;
Et les soldats mouraient la javeline aux mains.

Hermann était debout au milieu des Germains ;
Le chef dormant s’était relevé pour leur cause,
Hermann, gloire sans nom ! Hermann ! l’homme, la chose
De l’antique patrie et de la liberté,
Toujours beau, toujours jeune et toujours indompté !
Le chef blond était là, dans sa force éternelle ;
Pieuse, le gardait la forêt maternelle.
Le chef au pavois rouge, autour du bois hurlant,
Serrait un long cordon de Germains au corps blanc ;
Et, trois jours et trois nuits, la sainte Valkyrie,
Sur ces bois pleins de sang, fit planer sa furie :
Son œil bleu souriait, — et ses neigeuses mains
Tranchèrent le jarret aux enfants des Romains.
Lorsque le courrier vint, poudreux, dire l’armée
De l’empire romain dormant sous la ramée,
L’empereur en conçut de si fortes douleurs
Qu’il ôta de son front sa couronne de fleurs,