on s’efforce de reconnaître quelques portions de tourte ou de godiveau. Or, à qui fera-t-on croire que les femmes enceintes n’ont envie que de boire du vin, du café au lait, ou de manger des fruits rouges et, si l’on veut, du godiveau ? Une telle idée offense la philosophie naturelle. Le désir qui, selon certains philosophes, a seul créé le monde et seul le conserve, agit en elles comme en tous les êtres animés, avec plus d’étendue et de diversité. Il leur donne des ardeurs secrètes, des fureurs cachées, des troubles bizarres. Sans rechercher l’effet de leur état particulier sur les appétits communs à tout ce qui vit et aux plantes mêmes, nous reconnaissons que cet état ne produit pas l’indifférence, mais que plutôt il pervertit et exaspère les instincts profonds. Si le nouveau-né devait vraiment porter les signes visibles des désirs de sa mère, n’en doutez pas, on verrait plus d’une fois apparaître sur son corps d’autres images que ces innocentes fraises et
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