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L’AFFAIRE CRAINQUEBILLE

pas compris les raisons ; il lui était impossible de concevoir que quelque chose clochât dans une si belle cérémonie. Car, n’allant ni à la messe, ni à l’Élysée, il n’avait, de sa vie, rien vu de si beau qu’un jugement en police correctionnelle. Il savait bien qu’il n’avait pas crié « Mort aux vaches ! ». Et, qu’il eût été condamné à quinze jours de prison pour l’avoir crié, c’était, en sa pensée, un auguste mystère, un de ces articles de foi auxquels les croyants adhèrent sans les comprendre, une révélation obscure, éclatante, adorable et terrible.

Ce pauvre vieil homme se reconnaissait coupable d’avoir mystiquement offensé l’agent 64, comme le petit garçon qui va au catéchisme se reconnaît coupable du péché d’Ève. Il lui était enseigné, par son arrêt, qu’il avait crié : « Mort aux vaches ! ». C’était donc qu’il avait crié : « Mort aux vaches ! » d’une façon mystérieuse, inconnue de lui-même. Il était transporté dans un monde surnaturel. Son jugement était son apocalypse.

S’il ne se faisait pas une idée nette du délit, il ne se faisait pas une idée plus nette de la peine. Sa condamnation lui avait paru une chose solennelle, rituelle et supérieure, une chose éblouissante, qui ne se comprend pas, qui ne se discute

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