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sait dans une tranquillité profonde du fruit de son travail quand, tout à coup, une rumeur sinistre courut de village en village. On apprit partout à la fois qu’un dragon affreux avait ravagé deux fermes dans la baie des Plongeons.

Peu de jours auparavant la vierge Orberose avait disparu. On ne s’était pas inquiété tout de suite de son absence parce qu’elle avait été enlevée plusieurs fois par des hommes violents et pleins d’amour. Et les sages ne s’en étonnaient pas, considérant que cette vierge était la plus belle des Pingouines. On remarquait même qu’elle allait parfois au devant de ses ravisseurs, car nul ne peut échapper à sa destinée. Mais cette fois, ne la voyant point revenir, on craignit que le dragon ne l’eût dévorée.

Aussi bien les habitants de la vallée des Dalles s’aperçurent bientôt que ce dragon n’était pas une fable contée par des femmes autour des fontaines. Car une nuit le monstre dévora dans le village d’Anis six poules, un mouton et un jeune enfant orphelin nommé le petit Elo. Des animaux et de l’enfant on ne retrouva rien le lendemain matin.

Aussitôt les Anciens du village s’assemblèrent sur la place publique et siégèrent sur le banc de pierre pour aviser à ce qu’il était expédient de faire en ces terribles circonstances.

Et, ayant appelé tous ceux des Pingouins qui