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paru insuffisantes ; mais le zèle des magistrats et l’indignation publique y suppléaient. La veille du jour fixé pour les débats, le Palais de Justice sauta ; huit cents personnes y périrent, dont un grand nombre de juges et d’avocats. La foule furieuse envahit les prisons et lyncha les prisonniers. La troupe envoyée pour rétablir l’ordre fut accueillie à coups de pierres et de revolvers ; plusieurs officiers furent jetés à bas de leur cheval et foulés aux pieds. Les soldats firent feu ; il y eut de nombreuses victimes. La force publique parvint à rétablir la tranquillité. Le lendemain la Banque sauta.

Dès lors, on vit des choses inouïes. Les ouvriers des usines, qui avaient refusé de faire grève, se ruaient en foule sur la ville et mettaient le feu aux maisons. Des régiments entiers, conduits par leurs officiers, se joignirent aux ouvriers incendiaires, parcoururent avec eux la ville en chantant des hymnes révolutionnaires et s’en furent prendre aux docks des tonnes de pétrole pour en arroser le feu. Les explosions ne discontinuaient pas. Un matin, tout à coup, un arbre monstrueux, un fantôme de palmier haut de trois kilomètres s’éleva sur l’emplacement du palais géant des télégraphes, tout à coup anéanti.

Tandis que la moitié de la ville flambait, en l’autre moitié se poursuivait la vie régulière. On entendait, le matin, tinter dans les voitures des