Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/43

Cette page a été validée par deux contributeurs.

marche à l’écueil, il essaye encore de prendre des ris. Mais, quand il veut nouer les garcettes, le vent les lui arrache, et le filin, en s’échappant, lui brûle les mains. Et il voit trois démons aux ailes de peau noire, garnies de crochets, qui, pendus aux agrès, soufflent dans la toile.

Comprenant à cette vue que l’Ennemi l’a gouverné en toutes ces choses, il s’arme du signe de la Croix. Aussitôt un coup de vent furieux, plein de sanglots et de hurlements, soulève l’auge de pierre, emporte la mâture avec toute la toile, arrache le gouvernail et l’étrave.

Et l’auge s’en fut à la dérive sur la mer apaisée. Le saint homme, s’agenouillant, rendit grâces au Seigneur, qui l’avait délivré des pièges du démon. Alors il reconnut, assise sur un bloc de glace, l’ourse mère, qui avait parlé dans la tempête. Elle pressait sur son sein son enfant bien-aimé, et tenait à la main un livre de pourpre marqué d’une croix d’or. Ayant accosté l’auge de granit, elle salua le saint homme par ces mots :

Pax tibi, Maël.

Et elle lui tendit le livre.

Le saint homme reconnut son évangéliaire, et, plein d’étonnement, il chanta dans l’air tiédi une hymne au Créateur et à la création.