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sur ses genoux, le traita de paillard, lui donna des soufflets et l’obligea à lui demander pardon. Le lendemain, Violle reprit sa première forme. »

Ayant entendu ce récit, le vénérable chanoine Monnoyer remercia Pierre Mille de le lui avoir fait, et, prenant la plume, se mit à rédiger les pronostics des chevaux gagnants aux prochaines courses. Car il tenait les écritures d’un bookmaker.

Cependant la Pingouinie se glorifiait de sa richesse. Ceux qui produisaient les choses nécessaires à la vie en manquaient ; chez ceux qui ne les produisaient pas, elles surabondaient. « Ce sont là, comme le disait un membre de l’Institut, d’inéluctables fatalités économiques. » Le grand peuple pingouin n’avait plus ni traditions, ni culture intellectuelle, ni arts. Les progrès de la civilisation s’y manifestaient par l’industrie meurtrière, la spéculation infâme, le luxe hideux. Sa capitale revêtait, comme toutes les grandes villes d’alors, un caractère cosmopolite et financier : il y régnait une laideur immense et régulière. Le pays jouissait d’une tranquillité parfaite. C’était l’apogée.