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de longues années une vie honnête et chaste, et déjà sur le retour, s’éprit de Jean Violle, le petit page de madame la comtesse de Maubec, qui habitait l’hôtel du Paon sur la Grève. Il n’avait pas encore dix-huit ans, sa taille et sa figure étaient très mignonnes. Ne pouvant vaincre son amour, Cécile résolut de le satisfaire. Elle attira le page dans sa maison, lui fit toutes sortes de caresses, lui donna des friandises et finalement en fit à son plaisir avec lui.

» Or, un jour qu’ils étaient couchés tous deux ensemble dans le lit de l’orfèvre, maître Nicolas rentra au logis plus tôt qu’on ne l’attendait. Il trouva le verrou tiré et entendit au travers de la porte, sa femme qui soupirait : « Mon cœur ! mon ange ! mon rat ! » La soupçonnant alors de s’être enfermée avec un galant, il frappa de grands coups à l’huis et se mit à hurler : « Gueuse, paillarde, ribaude, vaudoise, ouvre que je te coupe le nez et les oreilles ! » En ce péril, l’épouse de l’orfèvre se voua à sainte Orberose et lui promit une belle chandelle si elle la tirait d’affaire, elle et le petit page qui se mourait de peur tout nu dans la ruelle.

» La sainte exauça ce vœu. Elle changea immédiatement Jean Violle en fille. Ce que voyant, Cécile, bien rassurée, se mit à crier à son mari : « Oh ! le vilain brutal, le méchant jaloux ! Parlez doucement si vous voulez qu’on vous ouvre. »