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s’inspirait la politique d’un grand pays. Cette pointe, accueillie par les sourires du parlement impérial, ne pouvait qu’irriter une république ombrageuse. Elle y éveilla la susceptibilité nationale qui s’en prit au ministre amoureux ; les députés saisirent un prétexte frivole pour témoigner leur mécontentement. Sur un incident ridicule : une sous-préfète venue danser au Moulin-Rouge, la Chambre obligea le ministère à engager sa responsabilité et il s’en fallut de quelques voix seulement qu’il ne tombât. De l’aveu général, Paul Visire n’avait jamais été si faible, si mou, si terne, que dans cette déplorable séance.

Il comprit qu’il ne pouvait se maintenir que par un coup de grande politique et décida l’expédition de Nigritie, réclamée par la haute finance, la haute industrie et qui assurait des concessions de forêts immenses à des sociétés de capitalistes, un emprunt de huit milliards aux établissements de crédit, des grades et des décorations aux officiers de terre et de mer. Un prétexte s’offrit : une injure à venger, une créance à recouvrer. Six cuirassés, quatorze croiseurs et dix-huit transports pénétrèrent dans l’embouchure du fleuve des Hippopotames ; six cents pirogues s’opposèrent en vain au débarquement des troupes. Les canons de l’amiral Vivier des Murènes produisirent un effet foudroyant sur les noirs qui répondirent par des volées de flèches et,