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téméraire. Les chefs de la majorité ne se souciaient pas d’attaquer un culte populaire qui rapportait trente millions par an au pays : le plus modéré des hommes de la droite, M. Bigourd, transforma la question en interpellation et mit le cabinet en péril. Heureusement le ministre des travaux publics, Fortuné Lapersonne, toujours conscient des obligations du pouvoir, sut réparer, en l’absence du président du conseil, la maladresse et l’inconvenance de son collègue des cultes. Il monta à la tribune pour y témoigner des respects du gouvernement à l’endroit de la céleste patronne du pays, consolatrice de tant de maux que la science s’avoue impuissante à soulager.

Quand Paul Visire, enfin arraché des bras d’Éveline, parut à la Chambre, le ministère était sauvé ; mais le président du conseil se vit obligé d’accorder à l’opinion des classes dirigeantes d’importantes satisfactions ; il proposa au parlement la mise en chantier de six cuirassés et reconquit ainsi les sympathies de l’acier ; il assura de nouveau que la rente ne serait pas imposée et fit arrêter dix-huit socialistes.

Il devait bientôt se trouver aux prises avec des difficultés plus redoutables. Le chancelier de l’empire voisin, dans un discours sur les relations extérieures de son souverain, glissa, au milieu d’aperçus ingénieux et de vues profondes, une allusion maligne aux passions amoureuses dont