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il jura de les intercepter, rétablit le cabinet noir, jeta le trouble dans les correspondances privées, arrêta les ordres de Bourse, fit manquer les rendez-vous d’amour, provoqua des ruines, traversa des passions, causa des suicides. La presse indépendante recueillit les plaintes du public, et les soutint de toute son indignation. Pour justifier ces mesures arbitraires les journaux ministériels parlèrent à mots couverts de complot, de danger public et firent croire à une conspiration monarchique. Des feuilles moins bien informées donnèrent des renseignements plus précis, annoncèrent la saisie de cinquante mille fusils et le débarquement du prince Crucho. L’émotion grandissait dans le pays ; les organes républicains demandaient la convocation immédiate des Chambres. Paul Visire revint à Paris, rappela ses collègues, tint un important conseil de cabinet et fit savoir par ses agences qu’un complot avait été effectivement ourdi contre la représentation nationale, que le président du conseil en tenait les fils et qu’une information judiciaire était ouverte.

Il ordonna immédiatement l’arrestation de trente socialistes, et tandis que le pays entier l’acclamait comme un sauveur, déjouant la surveillance de ses six cents agents, il conduisait furtivement Éveline dans un petit hôtel, près de la gare du Nord, où ils restèrent jusqu’à la nuit. Après leur départ, la fille de l’hôtel, en changeant