Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/396

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Hippolyte, essayant de ce moyen, fit mettre dans les journaux qu’on le rencontrait à toute heure chez mademoiselle Guinaud de l’Opéra. Il rentrait tard, ou ne rentrait pas ; affectait, devant Éveline, les apparences d’une joie intérieure impossible à contenir ; pendant le dîner, il tirait de sa poche une lettre parfumée qu’il feignait de lire avec délices et ses lèvres semblaient baiser, dans un songe, des lèvres invisibles. Rien ne fit. Éveline ne s’apercevait même pas de ce manège. Insensible à tout ce qui l’entourait, elle ne sortait de sa léthargie que pour demander quelques louis à son mari ; et, s’il ne les lui donnait pas, elle lui jetait un regard de dégoût, prête à lui reprocher la honte dont elle l’accablait devant le monde entier. Depuis qu’elle aimait, elle dépensait beaucoup pour sa toilette ; il lui fallait de l’argent et elle n’avait que son mari pour lui en procurer : elle était fidèle.

Il perdit patience, devint enragé, la menaça de son revolver. Il dit un jour devant elle à madame Clarence :

— Je vous fais compliment, madame ; vous avez élevé votre fille comme une grue.

— Emmène-moi, maman, s’écria Éveline. Je veux divorcer !

Il l’aimait plus ardemment que jamais.

Dans sa jalouse rage, la soupçonnant, non sans vraisemblance, d’envoyer et de recevoir des lettres,