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jours quatorze fois la couleur des timbres-poste. Cependant il lui poussait des rages de douleur et de fureur qui le rendaient fou ; durant des jours entiers sa raison l’abandonnait. S’il avait tenu un emploi dans une administration privée on s’en serait tout de suite aperçu ; mais il est beaucoup plus difficile de reconnaître la démence ou le délire dans l’administration des affaires de l’État. À ce moment, les employés du gouvernement formaient des associations et des fédérations, au milieu d’une effervescence dont s’effrayaient le parlement et l’opinion ; les facteurs se signalaient entre tous par leur ardeur syndicaliste.

Hippolyte Cérès fit connaître par voie de circulaire que leur action était strictement légale. Le lendemain, il lança une seconde circulaire, qui interdisait comme illégale toute association des employés de l’État. Il révoqua cent quatre-vingts facteurs, les réintégra, leur infligea un blâme et leur donna des gratifications. Au conseil des ministres il était toujours sur le point d’éclater ; c’était à peine si la présence du chef de l’État le contenait dans les bornes des bienséances, et comme il n’osait pas sauter à la gorge de son rival, il accablait d’invectives, pour se soulager, le chef respecté de l’armée, le général Débonnaire, qui ne les entendait pas, étant sourd et occupé à composer des vers pour madame la baronne de Bildermann. Hippolyte Cérès s’opposait indistinc-