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Elle nia tout, non pour le convaincre, car il les avait vus, mais par commodité et bon goût et pour éviter les explications pénibles.

Hippolyte Cérès souffrait toutes les tortures de la jalousie. Il se l’avouait à lui-même ; il se disait : « Je suis un homme fort ; j’ai une cuirasse ; mais la blessure est dessous : elle est au cœur. »

Et se retournant vers sa femme toute parée de volupté et belle de son crime, il la contemplait douloureusement et lui disait :

— Tu n’aurais pas dû avec celui-là.

Et il avait raison. Éveline n’aurait pas dû aimer dans le gouvernement.

Il souffrait tant qu’il prit son revolver en criant : « Je vais le tuer ! » Mais il songea qu’un ministre des postes et télégraphes ne peut pas tuer le président du conseil, et il remit son revolver dans le tiroir de sa table de nuit.

Les semaines se passaient sans calmer ses souffrances. Chaque matin, il bouclait sur sa blessure sa cuirasse d’homme fort et cherchait dans le travail et les honneurs la paix qui le fuyait. Il inaugurait tous les dimanches des bustes, des statues, des fontaines, des puits artésiens, des hôpitaux, des dispensaires, des voies ferrées, des canaux, des halles, des égouts, des arcs de triomphe, des marchés et des abattoirs, et prononçait des discours frémissants. Son activité brûlante dévorait les dossiers ; il changea en huit