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il n’aurait peut-être jamais su ; une ignorance profonde des femmes, une épaisse confiance dans son mérite et dans sa fortune lui auraient peut-être toujours dérobé la vérité, si les deux amants ne l’eussent, pour ainsi dire, forcé à la découvrir.

Quand Paul Visire allait chez Éveline et l’y trouvait seule, ils disaient en s’embrassant : « Pas ici ! pas ici ! » et aussitôt ils affectaient l’un vis-à-vis de l’autre une extrême réserve. C’était leur règle inviolable. Or, un jour, Paul Visire se rendit chez son collègue Cérès, à qui il avait donné rendez-vous ; ce fut Éveline qui le reçut : le ministre des postes était retenu dans « le sein » d’une commission.

— Pas ici ! se dirent en souriant les amants.

Ils se le dirent la bouche sur la bouche, dans des embrassements, des enlacements et des agenouillements. Ils se le disaient encore quand Hippolyte Cérès entra dans le salon.

Paul Visire retrouva sa présence d’esprit ; il déclara à madame Cérès qu’il renonçait à lui retirer la poussière qu’elle avait dans l’œil. Par cette attitude il ne donnait pas le change au mari, mais il sauvait sa sortie.

Hippolyte Cérès s’effondra. La conduite d’Éveline lui paraissait incompréhensible ; il lui en demandait les raisons.

— Pourquoi ? pourquoi ? répétait-il sans cesse, pourquoi ?