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jour et s’écrivaient dans l’intervalle. Il avait l’habitude des liaisons intimes, était adroit et savait dissimuler ; mais Éveline montrait une folle imprudence ; elle s’affichait avec lui dans les salons, au théâtre, à la Chambre et dans les ambassades ; elle portait son amour sur son visage, sur toute sa personne, dans les éclairs humides de son regard, dans le sourire mourant de ses lèvres, dans la palpitation de sa poitrine, dans la mollesse de ses hanches, dans toute sa beauté avivée, irritée, éperdue. Bientôt le pays tout entier sut leur liaison ; les cours étrangères en étaient informées ; seuls le président de la république et le mari d’Éveline l’ignoraient encore. Le président l’apprit à la campagne par un rapport de police égaré, on ne sait comment, dans sa valise.

Hippolyte Cérès, sans être ni très délicat ni très perspicace, s’apercevait bien que quelque chose était changé dans son ménage : Éveline, qui naguère encore s’intéressait à ses affaires et lui montrait sinon de la tendresse, du moins une bonne amitié, désormais ne lui laissait voir que de l’indifférence et du dégoût. Elle avait toujours eu des périodes d’absence, fait des visites prolongées à l’œuvre de Sainte-Orberose ; maintenant, sortie dès le matin et toute la journée dehors, elle se mettait à table à neuf heures du soir avec un visage de somnambule. Son mari trouvait cela ridicule ; pourtant