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— Mon père, si vous perdiez le pied droit et que Dieu vous le rendît, ce pied serait-il miraculeux ?

— Sans doute, mon fils.

— Le chausseriez-vous ?

— Assurément.

— Eh bien ! si vous croyez qu’on peut chausser d’un soulier naturel un pied miraculeux, vous devez croire aussi qu’on peut mettre des agrès naturels à une embarcation miraculeuse. Cela est limpide. Hélas ! pourquoi faut-il que les plus saints personnages aient leurs heures de langueur et de ténèbres ? On est le plus illustre des apôtres de la Bretagne, on pourrait accomplir des œuvres dignes d’une louange éternelle… Mais l’esprit est lent et la main paresseuse ! Adieu donc, mon père ! Voyagez à petites journées, et quand enfin vous approcherez des côtes d’Hœdic, vous regarderez fumer les ruines de la chapelle élevée et consacrée par vos mains. Les païens l’auront brûlée avec le petit diacre que vous y avez mis et qui sera grillé comme un boudin.

— Mon trouble est extrême, dit le serviteur de Dieu, en essuyant de sa manche son front mouillé de sueur. Mais, dis-moi, mon fils Samson, ce n’est point une petite tâche que de gréer cette auge de pierre. Et ne nous arrivera-t-il pas, si nous entreprenons une telle œuvre, de perdre du temps loin d’en gagner.