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sa mère, au fond d’une province reculée. Les autres ministresses n’étaient point nées pour charmer les regards ; et l’on souriait en lisant que madame Labillette avait paru au bal de la présidence coiffée d’oiseaux de paradis. Madame l’amirale Vivier des Murènes, de bonne famille, plus large que haute, le visage sang de bœuf, la voix d’un camelot, faisait son marché elle-même. La générale Débonnaire, longue, sèche, couperosée, insatiable de jeunes officiers, perdue de débauches et de crimes, ne rattrapait la considération qu’à force de laideur et d’insolence.

Madame Cérès était le charme du ministère et son porte-respect. Jeune, belle, irréprochable, elle réunissait, pour séduire l’élite sociale et les foules populaires, à l’élégance des toilettes la pureté du sourire.

Ses salons furent envahis par la grande finance juive. Elle donnait les garden-parties les plus élégants de la république ; les journaux décrivaient ses toilettes et les grands couturiers ne les lui faisaient pas payer. Elle allait à la messe, protégeait contre l’animosité populaire la chapelle de Sainte-Orberose et faisait naître dans les cœurs aristocratiques l’espérance d’un nouveau concordat.

Des cheveux d’or, des prunelles gris de lin, souple, mince avec une taille ronde, elle était vraiment jolie ; elle jouissait d’une excellente réputa-