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À cette question, le Diable, qui est grand théologien, répondit par cette autre question :

— Mon père, est-il louable d’attendre, les bras croisés, que vienne le secours d’en haut, et de tout demander à Celui qui peut tout, au lieu d’agir par prudence humaine et de s’aider soi-même ?

— Non certes, répondit le saint vieillard Maël, et c’est tenter Dieu que de négliger d’agir par prudence humaine.

— Or, poussa le Diable, la prudence n’est-elle point, en ce cas-ci, de gréer la cuve ?

— Ce serait prudence si l’on ne pouvait d’autre manière arriver à point.

— Eh ! eh ! votre cuve est-elle donc bien rapide ?

— Elle l’est autant qu’il plaît à Dieu.

— Qu’en savez-vous ? Elle va comme la mule de l’abbé Budoc. C’est un vrai sabot. Vous est-il défendu de la rendre plus vite ?

— Mon fils, la clarté orne vos discours, mais ils sont tranchants à l’excès. Considérez que cette cuve est miraculeuse.

— Elle l’est, mon père. Une auge de granit qui flotte sur l’eau comme un bouchon de liège est une auge miraculeuse. Il n’y a point de doute. Qu’en concluez-vous ?

— Mon embarras est grand. Convient-il de perfectionner par des moyens humains et naturels une si miraculeuse machine ?