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mandat. Il avait un concurrent peu dangereux au début, sans moyens oratoires, mais riche et qui gagnait, croyait-on, tous les jours des voix. Hippolyte Cérès, bannissant de son esprit et l’épaisse quiétude et les folles alarmes, redoublait de vigilance. Son principal moyen d’action c’étaient ses réunions publiques où il tombait, à la force du poumon, la candidature rivale. Son comité donnait de grandes réunions contradictoires le samedi soir et le dimanche à trois heures précises de l’après-midi. Or, un dimanche, étant allé faire visite aux dames Clarence, il trouva Éveline seule dans le salon. Il causait avec elle depuis vingt ou vingt-cinq minutes quand, tirant sa montre, il s’aperçut qu’il était trois heures moins un quart. La jeune fille se fit aimable, agaçante, gracieuse, inquiétante, pleine de promesses. Cérès, ému, se leva.

— Encore un moment ! lui dit-elle d’une voix pressante et douce qui le fit retomber sur sa chaise.

Elle lui montra de l’intérêt, de l’abandon, de la curiosité, de la faiblesse. Il rougit, pâlit et de nouveau, se leva.

Alors, pour le retenir, elle le regarda avec des yeux dont le gris devenait trouble et noyé, et, la poitrine haletante, ne parla plus. Vaincu, éperdu, anéanti, il tomba à ses pieds ; puis, ayant une fois encore tiré sa montre, bondit et jura effroyablement :