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la rue, arrêtaient la circulation des voitures et des piétons et offraient aux autobus un obstacle contre lequel ils se brisaient avec leurs voyageurs.

Les juges qui avaient condamné Pyrot n’étaient pas proprement des juges, mais des militaires. Les juges qui avaient condamné Colomban étaient des juges, mais de petits juges, vêtus d’une souquenille noire comme des balayeurs de sacristie, des pauvres diables de juges, des judicaillons faméliques. Au-dessus d’eux siégeaient de grands juges qui portaient sur leur robe rouge la simarre d’hermine. Ceux-là, renommés pour leur science et leur doctrine, composaient une cour dont le nom terrible exprimait la puissance. On la nommait Cour de cassation pour faire entendre qu’elle était le marteau suspendu sur les jugements et les arrêts de toutes les autres juridictions.

Or, un de ces grands juges rouges de la cour suprême, nommé Chaussepied, menait alors, dans un faubourg d’Alca, une vie modeste et tranquille. Son âme était pure, son cœur honnête, son esprit juste. Quand il avait fini d’étudier ses dossiers, il jouait du violon et cultivait des jacinthes. Il dînait le dimanche chez ses voisines, les demoiselles Helbivore. Sa vieillesse était souriante et robuste et ses amis vantaient l’aménité de son caractère.

Depuis quelques mois pourtant il se montrait