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il était aimé d’un amour sublime. L’injure et la calomnie le portaient aux nues. On voyait sa caricature avec celle de Colomban, de Kerdanic et du colonel Hastaing dans les kiosques des journaux ; les antipyrots publiaient qu’il avait reçu cinquante mille francs des grands financiers juifs. Les reporters des feuilles militaristes consultaient sur sa valeur scientifique les savants officiels qui lui refusaient toute connaissance des astres, contestaient ses observations les plus solides, niaient ses découvertes les plus certaines, condamnaient ses hypothèses les plus ingénieuses et les plus fécondes. Sous les coups flatteurs de la haine et de l’envie, il exultait.

Contemplant à ses pieds l’immensité noire percée d’une multitude de lumières, sans songer à tout ce qu’une nuit de grande ville renferme de lourds sommeils, d’insomnies cruelles, de songes vains, de plaisirs toujours gâtés et de misères infiniment diverses :

— C’est dans cette énorme cité, se disait-il, que le juste et l’injuste se livrent bataille.

Et, substituant à la réalité multiple et vulgaire une poésie simple et magnifique, il se représentait l’affaire Pyrot sous l’aspect d’une lutte des bons et des mauvais anges ; il attendait le triomphe éternel des Fils de la lumière et se félicitait d’être un Enfant du jour terrassant les Enfants de la nuit.