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L’abbé Budoc remit à saint Maël le bâton de frêne et l’instruisit de l’état malheureux où se trouvait l’abbaye. Les religieux s’étaient querellés sur la date à laquelle il convenait de célébrer la fête de Pâques. Les uns tenaient pour le calendrier romain, les autres pour le calendrier grec, et les horreurs d’un schisme chronologique déchiraient le monastère.

Il régnait encore une autre cause de désordres. Les religieuses de l’île de Gad, tristement tombées de leur vertu première, venaient à tout moment en barque sur la côte d’Yvern. Les religieux les recevaient dans le bâtiment des hôtes et il en résultait des scandales qui remplissaient de désolation les âmes pieuses.

Ayant terminé ce fidèle rapport, l’abbé Budoc conclut en ces termes :

— Depuis la venue de ces nonnes, c’en est fait de l’innocence et du repos de nos moines.

— Je le crois volontiers, répondit le bienheureux Maël. Car la femme est un piège adroitement construit : on y est pris dès qu’on l’a flairé. Hélas ! l’attrait délicieux de ces créatures s’exerce de loin plus puissamment encore que de près. Elles inspirent d’autant plus le désir qu’elles le contentent moins. De là ce vers d’un poète à l’une d’elles :

Présente je vous fuis, absente je vous trouve.