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dégradante en n’exterminant pas les sept cents pyrots avec leurs alliés et leurs défenseurs, comme Saül extermina les Philistins dans Gabaon, s’est rendu indigne d’exercer le pouvoir que Dieu lui avait délégué, et tout bon citoyen peut et doit désormais insulter à sa méprisable souveraineté. Le Ciel regardera favorablement ses contempteurs. Deposuit patentes de sede. Dieu déposera les chefs pusillanimes et il mettra à leur place les hommes forts qui se réclameront de Lui. Je vous en préviens, messieurs ; je vous en préviens, officiers, sous-officiers, soldats qui m’écoutez ; je vous en préviens, généralissime des armées pingouines, l’heure est venue ! Si vous n’obéissez pas aux ordres de Dieu, si vous ne déposez pas en son nom les possédants indignes, si vous ne constituez pas sur la Pingouinie un gouvernement religieux et fort, Dieu n’en détruira pas moins ce qu’il a condamné, il n’en sauvera pas moins son peuple ; il le sauvera, à votre défaut, par un humble artisan ou par un simple caporal. L’heure sera bientôt passée. Hâtez-vous !

Soulevés par cette ardente exhortation, les soixante mille assistants se levèrent frémissants ; des cris jaillirent : « Aux armes ! aux armes ! Mort aux pyrots ! Vive Crucho ! » et tous, moines, femmes, soldats, gentilshommes, bourgeois, larbins, sous le bras surhumain levé dans la chaire de vérité pour les bénir, entonnant l’hymne :